20/08/2012

Les quatre plaies des peuples du Sahel









 
21 août 2012


Jeune Nigérienne, à Niamey, en juin. Les cas de malnutrition se sont multipliés au Niger depuis avril, selon l'Unicef.
RICHARD VALDMANIS/REUTERS

Crise alimentaire, conflits armés, criquets et choléra conjuguent leurs menaces sur la région
L'abondance actuelle de la végétation dans la bande sahélienne est un trompe-l'oeil. Car les débuts encourageants de la saison des pluies n'empêchent pas les effets des précipitations erratiques de 2011, à l'origine de récoltes médiocres, de se faire sentir aujourd'hui. Les pays du Sahel traversent une nouvelle crise alimentaire, après celles survenues en 2005 et en 2010.
Selon les Nations unies, ce nouvel épisode touche environ 18 millions de personnes, vivant pour l'essentiel au Niger, au Mali, au Tchad et en Mauritanie. Plus d'un million d'enfants sahéliens de moins de 5 ans devraient être traités, en 2012, pour malnutrition sévère, ce qui constitue, selon Médecins sans frontières (MSF), un chiffre jamais atteint dans l'histoire des interventions humanitaires.
La fréquentation des centres de récupération nutritionnelle est actuellement au plus haut, estime le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef). " Le nombre de nouveaux cas de malnutrition sévère traités au Niger est d'un millier par jour depuis avril ", assure Martin Dawes, son responsable régional de la communication. La situation est particulièrement critique au Tchad, où le taux de malnutrition aiguë chez les enfants de moins de 5 ans dépasse le seuil d'urgence de 15 % dans neuf régions sur onze, selon l'Unicef.
La période de " soudure ", qui correspond à l'épuisement des réserves alimentaires des foyers, a démarré particulièrement tôt en 2012, dès le mois de février pour certains. Elle doit se poursuivre jusqu'aux prochaines récoltes, attendues en octobre. Dans l'intervalle, les ménages dépendent de la disponibilité des céréales sur les marchés.
Or, l'augmentation des prix alimentaires barre l'accès à ces marchés aux populations les plus vulnérables. Selon l'Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid), le prix du mil était, en juin, de 10 % à 80 % supérieur à la moyenne saisonnière.
La mise en oeuvre précoce - dès la fin 2011 - d'une réponse de la plupart des Etats concernés, des institutions internationales et des organisations non gouvernementales (ONG) a toutefois permis, à la différence des épisodes précédents, de limiter l'ampleur de la crise. Des distributions d'argent et de vivres auprès des populations les plus vulnérables, ainsi que des ventes de céréales à prix subventionnés, ont été effectuées préventivement.
Des aliments thérapeutiques ont aussi été acheminés vers les centres de récupération nutritionnelle, afin que ceux-ci soient prêts à répondre à l'afflux de patients attendu à la saison des pluies, quand le paludisme et les diarrhées fragilisent les enfants. " La rapidité de réaction des donateurs a permis d'éviter que la crise se transforme en désastre ", affirme Martin Dawes.
Les Nations unies estiment à 1,6 milliard de dollars (1,3 milliard d'euros) les besoins en financements, mais les engagements pris par les donateurs ne correspondent qu'à un peu plus de la moitié de cette somme. L'aide d'urgence reste largement privilégiée par rapport aux actions permettant de s'attaquer aux causes structurelles de ces crises à répétition. " On parle beaucoup de résilience et d'un nécessaire changement de paradigme, mais l'attitude des donateurs ne change pas vraiment ", note Gaëlle Bausson, porte-parole de l'ONG Oxfam au Niger.
La nouvelle saison des pluies a démarré assez tôt (dès mai dans certaines régions) et les précipitations se sont montrées soutenues et régulières, ce qui a eu pour effet de soulager les populations pastorales en remplissant les mares et en stimulant la croissance des pâturages. Même si elles ont aussi provoqué des inondations dans certaines régions. " Les données dont nous disposons sont, à quelques exceptions près, encourageantes ", estime Martin Morand, responsable régional d'Action contre la faim (ACF).
Malgré la perspective de bonnes récoltes, il est cependant encore trop tôt pour se réjouir. Les habitants du Sahel se trouvent en effet face à une quadruple menace : l'augmentation des prix alimentaires mondiaux - qui pèse particulièrement sur les pays à faible revenu -, l'instabilité politique au Mali, la recrudescence du choléra et la présence de criquets pèlerins dans le nord du Mali et du Niger.
Ces ravageurs des cultures, venus des confins de l'Algérie et de la Libye, ont trouvé dans le " Sahel des pâturages " un cadre favorable à leur reproduction. Pour la suite, tout va dépendre des pluies. " Si les régions où ils se trouvent actuellement se dessèchent, ils risquent de descendre vers le Sahel des cultures en septembre, affirme Annie Monard, de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Nous sommes dans l'expectative. "
Une infestation de grande ampleur pourrait menacer la sécurité alimentaire de 50 millions de personnes, estiment les Nations unies. Des équipes de surveillance sont actuellement déployées au Niger et dans la partie du Mali restée sous le contrôle du gouvernement central. Une réunion des experts régionaux est prévue du 3 au 5 septembre à Nouakchott, en Mauritanie. Mais l'impossibilité d'intervenir dans le nord du Mali, en raison de la rébellion en cours, augmente les risques.
De même, la présence de plus de 260 000 réfugiés maliens dans les pays limitrophes a aggravé la crise alimentaire, en accroissant la pression sur les vivres disponibles. Enfin, les camps de réfugiés sont un lieu particulièrement propice à la propagation du choléra, apparu début 2012 dans la région.
Selon l'Unicef, 29 000 cas et 700 décès ont été rapportés en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale depuis le début de l'année. Les pays côtiers - notamment le Sierra Leone, où 176 décès ont été recensés - et la boucle du Niger sont particulièrement touchés. " C'est excessivement inquiétant, avertit le responsable régional d'Action contre la faim, Dans un contexte de crise alimentaire et alors que les populations sont déjà affaiblies. "
Gilles van Kote
© Le Monde


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